DOMUS DEI
De saint Benoît à saint Bernard

Au 6ème siècle, en Italie, saint Benoît (480-547) compose une Règle pour les moines qui vivent en communauté au Mont Cassin (près de Rome).

Cette Règle qui propose au moine de chercher Dieu à travers la charité fraternelle, l’humilité et l’obéissance ainsi qu’avec un mode de vie très équilibré, va rapidement se propager en Occident. C’est cette Règle que les fondateurs de Cîteaux, Robert, Albéric et Etienne veulent pratiquer.
À partir de 1112, Cîteaux fonde d’autres monastères, l’Ordre se répandant alors en Europe sous l’impulsion de saint Bernard.
L’endroit appelé La Trappe, probablement en raison des pièges que l’on y tendait pour le gibier, était propriété de Rotrou III comte du Perche. Or, en 1120, le naufrage d’un grand vaisseau dans lequel périrent 300 nobles anglais parmi lesquels Mathilde, fille du roi d’Angleterre et épouse de Rotrou, conduisit ce dernier à ériger à La Trappe (dans le diocèse de Séez) un oratoire dédié à la Vierge, en mémorial de la catastrophe maritime.
Quelques années plus tard, en 1140, Rotrou adjoignit un monastère à cet oratoire, appelant des moines du Breuil-Benoît, près de Dreux. C’est ainsi que la première communauté de La Trappe vit le jour. Sept ans plus tard, avec toute la congrégation de Savigny dont elle faisait partie, elle s’agrégeait à l’Ordre de Cîteaux (d’où le nom de Cisterciens). Elle en épousa les principes de pauvreté, de simplicité de vie et de sobriété dans la prière liturgique.

Après un siècle de belle prospérité, survint la guerre de Cent Ans qui ravagea cette terre de confins entre la Normandie et le Perche où se heurtaient armées anglaise et française. Une première fois, les frères durent abandonner leur monastère pour trouver refuge au château fort de Bonsmoulins. Le monastère fut brûlé en partie et pillé en 1376 et en 1465.
La guerre de Cent Ans achevée, l’abbaye reconstruite, La Trappe fut en quelque sorte minée de l’intérieur par une disposition royale qui affectait le monastère sous le régime de la commende. Le système de la commende disposait que l’abbé commendataire, un clerc extérieur à la communauté, désigné par le pouvoir royal au prix d’intrigues politiques, s’appropriait les bénéfices du travail des moines sans le moindre souci de la Règle ni des valeurs cisterciennes.
La ruine, tant matérielle que morale, pour ne pas dire spirituelle, était consommée quand survint en 1662 Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé(1626-1700), filleul de Richelieu, clerc brillant, ambitieux abbé de cour qui avait précisément hérité de la commende de La Trappe. Après la mort d’une de ses proches, Rancé fit retraite pour finalement entrer dans la communauté dont il devint l’abbé régulier. Épris d’absolu, Rancé instaura un prodigieux élan d’amour de Dieu et des frères, une discipline stricte, un silence rigoureux et une réforme approuvée par le Pape Innocent XI. Non seulement il sauva La Trappe mais, sous son impulsion, elle devint durablement l’un des monastères les plus fervents, austères et rayonnants du royaume de France.

Une troisième occasion aurait pu être fatale à La Trappe : la Révolution de 1789 qui dispersa une partie des moines. Certains moururent martyrs, tandis qu’une vingtaine d’autres sous la direction de Dom Augustin de Lestrange s’exilèrent en Suisse dans l’ancienne chartreuse de la Valsainte. Là-bas, ils menèrent une vie plus ascétique encore qu’au temps de Rancé. Traqués par les armées révolutionnaires, ils parcoururent l’Europe jusqu’à la Russie en une odyssée tumultueuse. C’est grâce à ces moines issus de La Trappe, entre-temps rejoints par de nombreux postulants, que la vie monastique cistercienne se développa en Europe et en Amérique. La communauté de La Trappe ne cessa donc jamais d’exister et quand les exilés rejoignirent enfin La Trappe en 1815, celle-ci n’était qu’un amas de ruines. Le monastère fut reconstruit sur l’emplacement antérieur. L’entreprise en revint aux successeurs de Dom Augustin : Dom Joseph-Marie Hercelin (1835) et Dom Étienne Salasc (1895). C’est à ce dernier que l’on doit les bâtiments actuels, construits dans le style néo-gothique en vogue à la fin du dix-neuvième siècle.
Les Trappistes (Cisterciens de la Stricte Observance) sont maintenant répandus sur les cinq continents.
L’abbé de Rancé et La Trappe au XVIIe
1. Le contexte
Enfin sortie des Guerres de religion grâce au roi Henry IV, en 1598, réorganisée et dynamisée avec l’instauration, par le cardinal de Richelieu et le roi Louis XIII (1610-1643) d’un pouvoir royal fort et centralisateur, la France du début du XVIIe siècle est en pleine expansion politique, économique et culturelle. Parallèlement, un vigoureux mouvement de renaissance religieuse, fruit tardif du Concile de Trente, se développe à la suite des initiateurs de l’Ecole française, tels Monsieur Vincent, Bérulle, Olier … Renaissance qui touche les religieux, tels les bénédictins de Saint-Maur et de Saint-Vanne, ou les Cisterciens de l’Etroite Observance dans le cadre glorieux de ce « Grand Siècle » Dominé par le « Roi-Soleil » Louis XIV (1643-1715) que va vivre l’abbé de Rancé. C’est avec ce goût du XVIIe siècle pour l’absolu, l’héroïque, mais aussi le vrai et le pragmatique, que Rancé accomplira son œuvre de retour aux sources du monachisme, en une communauté bien concrète, celle de La Trappe.
2. Vie de Rancé et son œuvre de restauration de La Trappe
Impossible de séparer Rancé de La Trappe, car « il s’identifia totalement lui-même à elle », et tous ses écrits n’ont de sens que replacés dans le contexte de la vie communautaire où il puisait, jour après jour, son inspiration.
Enfance et jeunesse (1626-1657)
Armand-Jean Le Bouthillier de Rancé, né à Paris le 9 janvier 1626, porte le prénom de son illustre parrain le cardinal de Richelieu. Sa famille est, en effet, proche du Pouvoir et cherche à s’y élever et à s’enrichir. D’abord destiné à la carrière militaire, Armand-Jean fut orienté, d’autorité, vers la cléricature et tonsuré à l’age de neuf ans, à la demande de ses parents qui voulaient transmettre sur sa tête les bénéfices ecclésiastiques de son frère aîné mourant. Ainsi il sera institué chanoine de Notre-Dame de Paris et hérite des commendes de cinq abbayes, dont La Trappe, en 1637. Sa mère décède l’année de ses douze ans. Jeune homme intelligent et doué il fait de bonnes études classiques et théologiques qui le conduisent vers un sacerdoce pour lequel il n’a guère d’attrait. Cependant dans la perspective de devenir le coadjuteur de son oncle Victor, archevêque de Tours, il cède aux pressions familiales intéressées. Rancé est donc ordonné prêtre le 22 janvier 1651 et sera reçu docteur en Sorbonne en 1654. Fait archidiacre par son oncle Victor il mène une vie mondaine d’abbé de cour selon les mœurs du temps. Il est passionné de chasse et d’équitation, et fréquente assidûment l’hôtel de Madame de Montbazon. Tout semble lui réussir, en 1655 il est délégué à l’Assemblée du Clergé et, en 1656, il devient aumônier du prince Gaston d’Orléans, oncle du roi Louis XIV. Cependant la fragilité de sa position va se manifester l’année suivante. Par une imprudente défense de son ami le cardinal de Retz il indispose le cardinal de Mazarin, qui lui barre l’accès au coadjutorat de Tours. Puis survient le brutal et dramatique décès de Madame de Montbazon le 28 avril. Le soir même il part pour Veretz, sa demeure campagnarde, décidé à changer de vie, tant celle-ci lui paraît vaine.
Vers La Trappe (1657-1664)
Pour radicale que fut cette conversion, Rancé ne passera pas d’un coup de sa vie mondaine à celle du « vénérable abbé des solitaires de La Trappe ». Peu à peu Dieu le conduit là où il ne voulait pas aller.
Première étape : une pieuse retraite de gentilhomme
Dès le mois de mai 1657 il commence une vie de retraite à Veretz. Il y connaît un très grand remords au sujet de la façon indigne dont il a vécu son sacerdoce. Il se plonge dans la lecture des « pères des déserts » que vient de traduire d’ Andilly. Il fréquente mère Louise Rogier de la Visitation de Tours et, par elle, les Oratoriens, donc des milieux plutôt jansénistes et rigoristes. Mais malgré des courts séjours aux Granges de Port-Royal il ne s’engagera jamais dans le parti janséniste. Un projet de vie retirée, à Chambord, avec Gaston d’Orléans, récemment converti, tourne court du fait du décès de ce dernier en 1660.
Deuxième étape : le dépouillement
Toujours indécis quant à son avenir, Rancé, l’été 1660, va demander conseil à de saints évêques. Monseigneur de Pamiers le persuade de ne conserver qu’un seul bénéfice ecclésiastique et l’oriente vers l’épiscopat. Monseigneur de Comminges lui propose la vie monastique, mais Rancé refuse tout net : « moi, me faire frocard, jamais ! ». Malgré l’opposition de sa famille il distribue tous ses biens, ne conservant finalement, en 1663, que La Trappe. D’abord il ne pensait qu’à remettre en ordre cette communauté dégradée à l’extrême : « l’abbaye est en ruines et ses six moines ensauvagés » . Rancé engage des travaux et fait venir de Perseigne six moines de l’ Etroite Observance à laquelle il veut rattacher La Trappe (17 août 1662). Rancé prévoyait demeurer abbé commendataire, mais vivant en une pieuse retraite et assumant ses responsabilités vis à vis des moines. Il fait aménager un logis abbatial. Mais après quelques mois au contact des moines fervents et sans doute suite à une grâce intérieure durant l’office de sexte du 17 avril 1663, il est enfin terrassé et veut devenir vraiment moine, abbé régulier.
Troisième étape : le noviciat
Il obtient de Dom Jouaud abbé de Prières et Vicaire général des Réformés, l’autorisation de pouvoir devenir abbé régulier. Le roi Louis XIV accepte cette mutation en mai 1663. Rancé annonce sa décision au chapitre conventuel de La Trappe et commence un noviciat canonique à Perseigne, où il prend l’habit le 13 juin. Il effectue un noviciat fervent et pénitent, mais entrecoupé d’absences pour maladie ou missions reçues pour le service de l’Ordre. Il prononce ses vœux le 26 juin 1664. Le 13 juillet il reçoit la bénédiction abbatiale et le 14 juillet il prend ses fonctions à La Trappe. Déjà il trouve l’observance réformée trop timide et il veut instaurer à La Trappe un régime plus pénitent.
Un abbé engagé dans la défense de l’Etroite Observance (1664-1675)
Malgré lui, Rancé est, dès le 1er septembre 1664, désigné comme un des ambassadeurs de l’Etroite Observance auprès du pape Alexandre VII, Rome devant statuer sur le sort de cette réforme contestée par une partie de l’Ordre dont l’abbé de Cîteaux, Dom Vaussin. Cette longue ambassade de deux ans fut pénible à Rancé, elle fut d’ailleurs une sorte d’échec, le bref papal In Suprema, du 19 avril 1666, ne répondant pas à l’attente des réformés. Pourtant elle ne fut pas vaine pour Rancé, car elle l’obligea à connaître la Règle, les Us cisterciens, le rapport entre les sources de l’Ordre et les divers règlements en usage, le préparant ainsi à sa tâche d’abbé réformateur.
Après un houleux chapitre général à Cîteaux (1667), le seul auquel il participera, « Il ne pense plus qu’à retourner en son monastère pour y rétablir l’esprit et les pratiques des Fondateurs qu’on s’efforçait de renverser ». Comme conformément au droit de l’Eglise gallicane, un appel contre le bref pontifical a été déféré au roi par les réformés, Rancé continue à suivre cette affaire. Mais, quand le 19 avril 1675, le roi confirme le bref, Rancé décide de ne plus sortir de son monastère, car il est persuadé que le succès de la réforme monastique n’est pas dans les procès et les intrigues, mais dans l’authenticité d’une vie communautaire pénitente, fervente, charitable et paisible. Il y sera fidèle.
L’abbé et sa communauté
Dès son retour de Rome en 1666 Rancé va progressivement introduire dans son monastère une ascèse plus rigoureuse qu’ailleurs, selon ce qu’il comprenait de la Règle de saint Benoît et des écrits de saint Bernard, relus à la lumière de saint Basile, des Pères du Désert et surtout de saint Jean Climaque. Il tient compte aussi de l’expérience vécue. Rancé ne fixera pas d’un coup et autoritairement les nouveaux Règlements de La Trappe. D’abord il faisait partager à sa communauté, en de vibrants chapitres, sa passion pour la vie pénitente des « Pères ». Puis il associait les frères aux projets de réforme correspondants. Eux, comme lui, désiraient « suivre constamment les exemples des anciens ». Dans sa Description… de La Trappe de 1671, Félibien écrivait : « Ce ne sont point des esclaves timides et lâches, conduits par un vaillant capitaine, ce sont des personnes libres et généreuses, qui marchent sur les pas de leur chef, qui lui obéissent avec un amour extrême ».
Dés 1670 Rancé sera amené à prendre la plume pour défendre sa réforme et l’austérité des pénitences contre les critiques, notamment : sur la pratique des « humiliations volontaires » infligées par l’Abbé à ses religieux, sur l’éventuel manque de discrétion dans l’ascèse entraînant le décès prématuré de nombreux religieux, sur la question du refus des études. Cependant il faut noter que ces critiques venaient toujours de l’extérieur. Par contre les « cartes de visite » des visiteurs réguliers, par exemple en 1676, 1678, 1685, … sont très élogieuses pour le rapport aimant de l’Abbé aux frères, pour l’unité exceptionnelle, la charité, la paix, la ferveur sincère des moines.
Les Relations de la mort de quelques religieux de l’abbaye de La Trappe, publiées à partir de 1677, témoignent des conditions héroïques et saintes de la mort des religieux assistés par leur Abbé. Elles témoignent aussi du sens de leur vie pénitente. Comme Rancé ils sont venus chercher le salut à La Trappe. Le salut est un souci majeur au XVIIe siècle. Conscients de leurs péchés, de la vanité de leur vie passée, ils sont là pour les expier et être sauvés. Pas de pénitence extraordinaire, mais la fidélité quotidienne et humble aux préceptes de la Règle et des Us . Donc une vie pénitente à embrasser courageusement dans l’amour de la vie éternelle, pour laquelle cette vie doit être une préparation.
Même si Rancé parle beaucoup de la pénitence il n’en fait pas la fin de la vie monastique, cette fin c’est la perfection de la charité. La pénitence doit conduire à la charité, car écrit Rancé « La pénitence n’est que la conformité de notre cœur à celui de Dieu ». Elle n’a de valeur que dans la mesure où elle rejoint la Volonté Divine qui est charité. D’ailleurs, pour Rancé, c’est la volonté propre, non le corps, qui est le véritable ennemi. Il vise le renoncement à soi par l’humilité et l’obéissance, mais avec ce regard pessimiste sur la nature humaine propre aux convertis de son siècle, d’où ce rigorisme qui peut lui être reproché.
Rancé pensait avoir trouvé dans la voie cénobitique, selon les Pères, le remède efficace aux suites désastreuses des illusoires plaisirs du monde pécheur. Il propose à ses fils cette possibilité de guérison. Confiant en la miséricorde de Dieu qui sauve le pécheur qui se repent en la vie monastique, Rancé ne promet pas un bonheur immédiat, mais il est sûr de conduire les frères vers les joies durables du Ciel. Cette certitude partagée par tous rejaillit en la joie de vivre fraternellement cette voie exigeante, mais librement choisie.
L’écrivain
En 1683, à la demande de Bossuet, Rancé fit paraître « Sainteté et Devoirs de la vie monastique », où en vingt-trois conférences, basées sur son enseignement à ses moines, il expose sa conception de la vie monastique. Cet ouvrage majeur connut un grand succès. Il suscita aussi des critiques de religieux qui se voyaient accusés de « mitigations » décadentes. Surtout il provoqua une longue polémique avec les bénédictins de Saint-Maur, notamment Dom Mabillon au sujet de la place des études dans la vie monastique. Polémique qui, après la publication de plusieurs ouvrages contradictoires, prit soudainement fin en 1692 quand les deux protagonistes se rencontrèrent à La Trappe, s’estimèrent et reconnurent les valeurs de leurs positions réciproques. En 1689 parut la traduction et le commentaire de la Règle de saint Benoît. En 1690 parution des Règlements de l’Abbaye de Notre Dame de La Trappe. Nous avons déjà parlé plus haut des « Relations de la mort de quelques religieux » qui connurent plusieurs éditions. A ces ouvrages, plus directement monastiques, s’ajoutent quelques ouvrages de piété et de direction spirituelle et de nombreuses lettres éditées en recueils.
Tous ces textes répandirent les conceptions rancéennes de la vie cistercienne et firent connaître La Trappe, mais leur caractère souvent polémique, sauf les lettres où le ton est plus nuancé, a durci l’image de Rancé et de sa réforme.
Les dernières années
De plus en plus infirme, Rancé donne sa démission d’abbé en mai 1695. Par une faveur exceptionnelle le roi Louis XIV, pour sauvegarder la réforme, accepte la nomination d’un abbé régulier : Dom Zozime (28 décembre 1695), mais ce dernier décède très vite (mars 1696). Dom Gervaise est nommé (18 octobre 1696), mais en butte aux critiques de certains proches et amis de Rancé il doit démissionner en décembre 1698. Dom Jacques de la Cour est nommé (5 avril 1699). Rancé vit une dernière année paisible et fervente malgré sa maladie.
Après un jour d’agonie il décède, le 27 octobre 1700, d’une manière très sainte, couché sur la paille et la cendre, en présence de l’évêque de Séez, après avoir prononcé ces dernières paroles « Seigneur, ne tardez pas davantage, mon Dieu hâtez vous de venir ».
Le rayonnement de Rancé et de sa réforme de La Trappe
Rancé, même s’il a mis en place des Réglements parfois différents de ceux de l’Etroite Observance, et s’il ne participa plus, après 1675, aux assemblées de supérieurs, n’a jamais voulu se séparer de l’Ordre cistercien. A preuve son bon accueil des visites régulières. Il ne fut pas même le chef d’un courant organisé et il ne fonda aucune maison-fille. Cependant pour beaucoup, Rancé par son retour aux sources de l’ascèse monastique et son refus des relâchements, si réels à son époque, rendait sa crédibilité et son attrait à la vie cistercienne. D’où un grand rayonnement par les rencontres à La Trappe, les lettres et les livres de ce « nouveau saint Bernard » (Bossuet). Il contribuera plus directement, à la demande de leurs abbés, à la réforme de quelques abbayes cisterciennes. Ainsi : en 1666 Dom Eustache de Beaufort (1636-1709) abbé de Sept-Fons depuis 1656, en 1669 Dom Charles de Bentzeradt (1635-1707) abbé d’Orval depuis 1668, en 1677 Dom Jean Antoine de la Forêt de Somont (1645-1701) abbé de Tamié depuis 1665, rencontrent Rancé, lui demandent conseils et assistance pour la réforme de leurs abbayes et adoptent des observances semblables à celles de La Trappe. Rancé accepte de former à La Trappe certains de leurs moines, ou envoie quelques uns de ses moines pour aider à la réforme de ces monastères.
Quant aux moniales, Rancé fut en rapport épistolaire suivi avec plusieurs abbesses dont Louise-Hollandine de Bavière (1622-1709) de l’abbaye royale de Maubuisson. L’abbesse des Clairets, mère Françoise-Angélique d’Etampes de Valençay, obtint même que Rancé fasse les visites canoniques de son monastère de 1690 à 1692, et, avec son aide elle y introduisit l’Etroite Observance.
D’autre part, après le décès de Rancé, La Trappe conservera les observances et l’esprit de son réformateur, mais cela est l’objet d’un autre dossier…
Conclusion
Malgré ses défauts bien connus, sans doute pas, mais plutôt l’ardent désir d’une vie radicalement et authentiquement consacrée à Dieu dans le cloître. Jeune homme, par devoir familial, il avait dû devenir prêtre sans réelle vocation. Cet homme généreux et passionné se trouva obligé de vivre une vie de compromis et de faux-semblants. A trente et un ans (1657) il ne peut plus se supporter ainsi. Mais comment vivre authentiquement en cette société tissée de compromissions mondaines ? C’est alors que la découverte de saint Jean Climaque et des autres « solitaires » lui montre des hommes qui vivent vraiment ce qu’ils croient. Rancé est un actif, pour lui aimer c’est imiter. Il brûle donc d’imiter ces anciens et de sortir ainsi de ses propres divisions intérieures. Pendant cinq ans (1658-1662) il cherche. Durant sa retraite à La Trappe l’exemple des moines venus de Perseigne lui montre que lui aussi peut, à la suite de saint Bernard, rejoindre l’idéal des grands solitaires d’Egypte, par de là les relâchements de son temps. Son étude de la Règle, à la lumière des Pères orientaux, l’appelle à aller encore plus loin dans l’authentique, tel qu’il le comprend, et c’est pour vivre ainsi qu’il réforme La Trappe. Ce souci du vrai le détourne d’une pénitence extérieure, non fondée dans l’amour de Dieu. Dans ses commentaires sur la Règle il écrit : « La vie monastique quelque austère qu’elle soit n’est qu’un pur judaïsme [comportement vain] si la préparation intérieure du cœur n’est jointe aux dispositions extérieures ».
Derrière sa quête de perfection dans la vie monastique pénitente, malgré ses abus et intolérances, c’est l’authenticité chrétienne que recherche Rancé. Il veut correspondre de tout son être à la volonté de Dieu aimé plus que tout, et en ceci, quelque homme du XVIIe siècle qu’il fut, il était bien fils de saint Bernard.
Notre-dame de la Confiance érigée en 1947
Site internet de l'abbaye de la trappe